mardi 16 décembre 2014

Tchad : La vigilance pour juguler une mémoire dangereuse (1)


Par Rodrigue Naortangar.


1.     Diagnostic
Au Tchad, le spectre de l’insécurité chronique est régulièrement brandi par les thuriféraires du palais rose pour faire taire les « velléités » révolutionnaires auxquelles les Tchadiens semblent avoir repris goût depuis quelques mois, suite à la révolution burkinabè. Le Tchad, disent les laudateurs du régime dominé par le MPS (Mouvement Patriotique du Salut), est sorti du cycle des guerres et des violences à répétition qu’il a connu depuis son accession à l’indépendance, il y a 54 ans. La liberté, mais aussi la démocratie chèrement acquises depuis l’accession d’Idriss Déby Itno à la magistrature suprême, il y a 24 ans, constituent les fondements de la paix dont jouissent les Tchadiens depuis la dernière attaque de rebelles en février 2008. 

La « communauté internationale » semble mordre à cette rhétorique: Pour l’heure, entend-on dire, le Tchad est un îlot de paix entouré d’une marée de conflits : Boko Haram, la secte islamique, sévit à l’ouest ; le conflit du Darfour couve toujours à l’est; au sud, la République Centrafricaine peine à se redresser de sa situation politique, socio-économique et sécuritaire calamiteuse ; au nord, les Libyens de l’ère post-Kadhafi s’entredéchirent ; sans compter que les frontières poreuses du Sahel et du désert tchadien laissent passer en catimini des hordes d’islamistes d’est en ouest et d’ouest en est, du Nord à l’ouest. Le Tchad n’est pas qu’un îlot de paix, il contribue aussi, semble-t-il, à la paix dans la sous-région. Mis à part les faits d’armes des vaillants soldats tchadiens au nord du Mali, d’aucuns qualifient d’essentiel la présence militaire et l’influence politique tchadiennes en République Centrafricaine. Le dispositif de l’opération « Barkhane » basé à N’Djaména, dans la capitale tchadienne, et qui est piloté par la France en coopération, semble-t-il, avec le Tchad et les certains autres pays du Sahel, aurait vocation à assurer la sécurité dans la sous-région.

Pendant que l’image du Tchad brille au-dehors, à l’intérieur pourtant la grogne monte… à raison. Aussi bien la poignée des privilégiés du régime que la masse des oubliés constatent un malaise général. Au-delà de la rhétorique de la « renaissance » et de « l’émergence » du Tchad, au-delà de la fièvre des investissements dans les infrastructures d’usage publique rendus possibles grâce aux colossaux revenus des innombrables puits pétrolières tchadiens, au-delà de la politique tous azimuts pour attirer des investisseurs étrangers, les indicateurs de développement humain et de bonne gouvernance classent le Tchad parmi les derniers du monde. La flambée des prix de première nécessité n’est plus contrôlée et la cherté de la vie agrandi le fossé entre les riches et les pauvres. Pendant les périodes de « soudure » la faim menace toujours un grand nombre de Tchadiens. Les injustices, nombreuses, profitent souvent aux proches du régime et la corruption est banalisée. 

Certains privilégiés du régime défendent bec et ongles le système établi, parfois même sans vraiment y croire. D’autres préfèrent s’emmurer dans le silence. Dans le meilleur des cas, ils osent des critiques, mais dans le silence et le confort de leurs salons feutrés, par peur d’éventuelles représailles. Cette peur est également ce qui a tétanisé la masse des oubliés jusqu’à il y a peu: La brutalité des militaires et autres agents armés lors d’incursions nocturnes contre d’éventuels opposants et critiques du régime, les accusations de déstabilisation ou de coup d’état accompagnés de jugements expéditifs n’ayant de crédibilité que la non-crédibilité de la majorité des juges, ces soi-disant détenteurs du pouvoir judiciaire mais qui sont en réalité corrompus et manipulés par les tenants du pouvoir exécutif, les enlèvements, les arrestations et séquestrations sans motif clair, les assassinats à bout portant, etc., provoquaient le désarroi et renforçaient le fatalisme. La masse des oubliés se sentait littéralement sans défense. L’inefficience des parlementaires et des représentants du peuple à défendre les intérêts de la masse des oubliés est flagrante. À l’exception d’une poignée d’hommes et d’hommes courageux, la grande majorité d’entre eux, souvent mal élue, fait profil bas par stratégie de survie ou de protection d’intérêts personnels, familiaux voire claniques. Les opposants politiques sont tout autant inefficients. Bon nombre d’entre eux ont perdu la confiance de la masse des oubliés : ils ont trahi ou ont fait nombre avec l’establishment à un moment donné. Si quelques-uns restent fidèles à eux-mêmes, ils brillent par l’inefficacité de leurs critiques. Les thuriféraires du palais rose aiment à les citer comme preuve de liberté d’expression, ils leur servent indirectement de vernis démocratique. La société civile elle-même a par le passé servi de tremplin pour plonger dans la mangeoire de la politique du régime. En sera-t-il autrement à l’avenir ? 

Malgré tout l’espoir du changement commence à gagner sur la peur, le désarroi et le fatalisme de la masse des oubliés. L’exemple burkinabè a galvanisé. Que les marches et les démonstrations contre la vie chère aient massivement mobilisé des enseignants et des élèves est symptomatique: Ces derniers sont les bâtisseurs et les acteurs de l’avenir, cet avenir qui semble être hypothéqué par un système injuste. Il va donc de soi qu’ils s’arrachent leur avenir, coûte que coûte. La lutte pour l’avenir du Tchad prend le dessus sur le monopole de la violence dite légitime et sur sa justification internationale. Le dilemme dans lequel le Tchad se situe ces mois-ci est donc profond. Analysons-le.

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