Par Rodrigue Naortangar.
Au Tchad, le spectre de l’insécurité
chronique est régulièrement brandi par les thuriféraires du palais rose pour faire
taire les « velléités » révolutionnaires auxquelles les Tchadiens
semblent avoir repris goût depuis quelques mois, suite à la révolution
burkinabè. Le Tchad, disent les laudateurs du régime dominé par le MPS
(Mouvement Patriotique du Salut), est sorti du cycle des guerres et des violences
à répétition qu’il a connu depuis son accession à l’indépendance, il y a 54
ans. La liberté, mais aussi la démocratie chèrement acquises depuis l’accession
d’Idriss Déby Itno à la magistrature suprême, il y a 24 ans, constituent les
fondements de la paix dont jouissent les Tchadiens depuis la dernière attaque
de rebelles en février 2008.
La « communauté
internationale » semble mordre à cette rhétorique: Pour l’heure, entend-on
dire, le Tchad est un îlot de paix entouré d’une marée de conflits : Boko
Haram, la secte islamique, sévit à l’ouest ; le conflit du Darfour couve
toujours à l’est; au sud, la République Centrafricaine peine à se redresser de
sa situation politique, socio-économique et sécuritaire calamiteuse ; au
nord, les Libyens de l’ère post-Kadhafi s’entredéchirent ; sans compter
que les frontières poreuses du Sahel et du désert tchadien laissent passer en
catimini des hordes d’islamistes d’est en ouest et d’ouest en est, du Nord à l’ouest.
Le Tchad n’est pas qu’un îlot de paix, il contribue aussi, semble-t-il, à la
paix dans la sous-région. Mis à part les faits d’armes des vaillants soldats
tchadiens au nord du Mali, d’aucuns qualifient d’essentiel la présence
militaire et l’influence politique tchadiennes en République Centrafricaine. Le
dispositif de l’opération « Barkhane » basé à N’Djaména, dans la
capitale tchadienne, et qui est piloté par la France en coopération, semble-t-il,
avec le Tchad et les certains autres pays du Sahel, aurait vocation à assurer
la sécurité dans la sous-région.
Pendant que l’image du Tchad
brille au-dehors, à l’intérieur pourtant la grogne monte… à raison. Aussi bien la
poignée des privilégiés du régime que la masse des oubliés constatent un
malaise général. Au-delà de la rhétorique de la « renaissance » et de
« l’émergence » du Tchad, au-delà de la fièvre des investissements
dans les infrastructures d’usage publique rendus possibles grâce aux colossaux revenus
des innombrables puits pétrolières tchadiens, au-delà de la politique tous
azimuts pour attirer des investisseurs étrangers, les indicateurs de développement
humain et de bonne gouvernance classent le Tchad parmi les derniers du monde.
La flambée des prix de première nécessité n’est plus contrôlée et la cherté de
la vie agrandi le fossé entre les riches et les pauvres. Pendant les périodes
de « soudure » la faim menace toujours un grand nombre de Tchadiens.
Les injustices, nombreuses, profitent souvent aux proches du régime et la
corruption est banalisée.
Certains privilégiés du régime défendent
bec et ongles le système établi, parfois même sans vraiment y croire. D’autres préfèrent
s’emmurer dans le silence. Dans le meilleur des cas, ils osent des critiques,
mais dans le silence et le confort de leurs salons feutrés, par peur d’éventuelles
représailles. Cette peur est également ce qui a tétanisé la masse des oubliés
jusqu’à il y a peu: La brutalité des militaires et autres agents armés lors d’incursions
nocturnes contre d’éventuels opposants et critiques du régime, les accusations
de déstabilisation ou de coup d’état accompagnés de jugements expéditifs n’ayant
de crédibilité que la non-crédibilité de la majorité des juges, ces soi-disant
détenteurs du pouvoir judiciaire mais qui sont en réalité corrompus et manipulés
par les tenants du pouvoir exécutif, les enlèvements, les arrestations et
séquestrations sans motif clair, les assassinats à bout portant, etc.,
provoquaient le désarroi et renforçaient le fatalisme. La masse des oubliés se
sentait littéralement sans défense. L’inefficience des parlementaires et des représentants
du peuple à défendre les intérêts de la masse des oubliés est flagrante. À
l’exception d’une poignée d’hommes et d’hommes courageux, la grande majorité d’entre
eux, souvent mal élue, fait profil bas par stratégie de survie ou de protection
d’intérêts personnels, familiaux voire claniques. Les opposants politiques sont
tout autant inefficients. Bon nombre d’entre eux ont perdu la confiance de la
masse des oubliés : ils ont trahi ou ont fait nombre avec l’establishment à un moment donné. Si quelques-uns
restent fidèles à eux-mêmes, ils brillent par l’inefficacité de leurs critiques.
Les thuriféraires du palais rose aiment à les citer comme preuve de liberté d’expression,
ils leur servent indirectement de vernis démocratique. La société civile
elle-même a par le passé servi de tremplin pour plonger dans la mangeoire de la
politique du régime. En sera-t-il autrement à l’avenir ?
Malgré tout l’espoir du changement
commence à gagner sur la peur, le désarroi et le fatalisme de la masse des
oubliés. L’exemple burkinabè a galvanisé. Que les marches et les démonstrations
contre la vie chère aient massivement mobilisé des enseignants et des élèves
est symptomatique: Ces derniers sont les bâtisseurs et les acteurs de l’avenir,
cet avenir qui semble être hypothéqué par un système injuste. Il va donc de soi
qu’ils s’arrachent leur avenir, coûte que coûte. La lutte pour l’avenir du
Tchad prend le dessus sur le monopole de la violence dite légitime et sur sa justification
internationale. Le dilemme dans lequel le Tchad se situe ces mois-ci est donc
profond. Analysons-le.
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