samedi 14 février 2015

12 février 1979 au Tchad : une mémoire blessée


12 février 1979 - N’Djaména, la capitale tchadienne. Dans la matinée des coups de feu se font entendre au Lycée Félix Eboué. Puis des bruits de roquettes et des coups de canon prennent, comme en écho, le relais. Des hélicoptères pilonnent le domicile du premier ministre, M. Hissein Habré. Une guerre venait d'éclater entre ses forces – Forces Armées du Nord (FAN), rebelles nouvellement ralliés – et celles du chef de l’Etat le général Félix Malloum, les Forces Armées Tchadienne (FAT), pourtant jusque là une armée nationale. Le N’Djaménois lambda n’en revient pas. Ainsi donc ses dirigeants ont osé franchir le Rubicon! Ils ont osé transformer la capitale tchadienne en champ de bataille!
Il est vrai que la tension était palpable au sommet de l’Etat depuis que M. Hissein Habré avait prononcé, le 25 septembre 1978, le fameux « discours du balai », discours qui promettait d’assainir l’administration corrompue du Tchad. Il annonçait et promettait un Tchad nouveau, un Tchad exempt des querelles du passé, des querelles qui, depuis la dictature du premier président François Tombalbaye, avait provoquées une instabilité politique, militaire, sociale et économique et avait fait de la nation tchadienne un mythe. Le discours en lui-même était irréprochable. Mais lorsque, après sa diffusion sur les ondes de la Radiodiffusion nationale tchadienne (RNT), les auditeurs vécurent en "live" le courroux du premier ministre qui avait débarqué en studio pour prendre rudement à parti le speaker chargé de la traduction en sara parce que ce dernier avait prit la parole avant son collègue chargé de la traduction en arabe, alors qu’il était de coutume que la traduction arabe passe avant celle en sara, à partir de ce moment là le reflexe et l’instinct communautaires des N’Djaménois avait été mis en branle.
Le chef de l’Etat Malloum avait récusé ce discours. Pour lui et pour ses proches, il avait des allures de politique générale, domaine réservé au chef de l’Etat par la Charte fondamentale – la constitution provisoire du Tchad issue de l’accord entre les FAN d’Hissein Habré et l’Etat tchadien signé à Khartoum au Soudan – et non au premier ministre. Habré, quant à lui, se défendait en s’appuyant sur cette même Charte – manifestement ambiguë – qui donnait également au premier ministre le droit de concevoir et de conduire l’action du gouvernement. Il prétendait ne rien demander d’autre que l’application de cette Charte et fit organiser, à l’aide de tracts anonymes, des grèves. Les deux chefs de l'exécutif tchadien ne communiquaient plus et se boudaient mutuellement. La tension au sommet de l’Etat avait contaminé les ministères, l’armée puis la population. L’administration était bloquée, les N’Djaménois se découvraient subitement leurs camps : « sudistes » du président Malloum contre « nordistes » du premier ministre Habré. En cachette, les leaders de ces camps se préparaient à la guerre. Tous les moyens étaient bons pour éliminer l’adversaire politique devenu ennemi. Il fallait préparer les troupes au combat en leur servant un discours de haine à coloration régionaliste, religieuse et tribaliste contre l’autre camp. Des blindés de l’armée et de la gendarmerie avaient été déplacés vers la capitale. Des armes avaient été distribuées. Il fallait se préparer à toutes les éventualités lorsque l’étincelle qui allait provoquer l’incendie apparaitra. Elle était en effet apparue en ce matin du 12 février 1979 sous la forme d’une bagarre entre des élèves du camp de Habré qui demandaient à leurs camarades de respecter l’ordre de grève en faveur de l’application de la Charte et des élèves de l'autre camp qui désiraient suivre les cours.
Dans les jours qui suivent, N’Djaména s’était scindé en quartiers « nordistes » et « sudistes ». La haine communautaire avait conquit les cœurs. Ceux qui appartiennent à l’autre camp sont bons à abattre, simplement parce qu’ils ont le malheur d’appartenir au mauvais camp et de se retrouver dans le mauvais quartier au mauvais moment. D’innombrables cadavres jonchaient le sol. On apprit aussi qu’à Abéché, à Moundou, à Doba et à Sarh d’ignobles règlements de compte avaient eu lieu. En ce mois de février et de mars 1979, la bêtise humaine était la chose la mieux partagée au Tchad. Mais a-t-on seulement tiré les conséquences de cette mémoire collective tchadienne blessée ?

Rodrigue Naortangar.

jeudi 22 janvier 2015

Oxfam: Winnie Byanyima in fight against poverty

By 2016 1% of the richest will own more than the remaining 99% : https://www.youtube.com/watch?v=00F4-VAzpzc

lundi 5 janvier 2015

Le réalisme efficace ne renie point l'ideal afin de ne pas empirer la situation.

samedi 27 décembre 2014

Poème: Le regard de l’enfant


Les yeux du nouveau-né s’ouvrent
Et découvrent pour la première fois
Le regard plein d’amour de sa mère
Et de son père.
Les yeux innocents du nourrisson pétillent
D’une lueur qui irradie les cœurs environnants
Et dissipent les ombres du désespoir et de la déchéance
Elles reculent
Repoussées par les cœurs irradiés
Qui allument d’autres cœurs en répandant la Nouvelle,
Celle de la naissance de la Lumière du monde

mardi 23 décembre 2014

La vigilance pour juguler une mémoire dangereuse (2)


2.      Analyse
Le spectre de l’insécurité chronique est bien la rhétorique des tenants du pouvoir en place. Ils se présentent comme garants de l’ordre, de « l’émergence » de la liberté et de la démocratie. Ils s’identifient aux mérites actuels du Tchad. Qui s’oppose à leur gestion des affaires publiques ou tient un discours autre entrave nécessairement au bien être du Tchad et des Tchadiens, il se rend responsable d’un éventuel chaos pareil à ceux que le Tchad a connu par le passé. La forme historique la plus radicale de ce chaos est la guerre civile tchadienne de 1979. Le Tchad était alors devenu un Etat néant jusqu’en 1982 et les Tchadiens étaient empêtrés dans une délétère situation faite de misère, de haine et de vengeances aux motifs souvent identitaires. La mémoire collective tchadienne garde encore vivante le souvenir de ces années sombres. Faire appel à cette mémoire dangereuse pour dissuader des soulèvements a tout pour être une arme psychologique efficace: Les « événements » de 1979 comme on les appelle communément ont laissé une plaie mal cicatrisée dans la croissance de l’identité tchadienne, une plaie qui peine à guérir. Ces événements sont encore mal assumés et peuvent provoquer de la paralysie, de l’inaction. Finalement personne ne désire ouvrir la boîte de pandore, personne ne veut se rendre responsable d’une crise pareille.

jeudi 18 décembre 2014

Alt werden und reifen ich ein Ehrepfad, derer nicht alle gewachsen sind.

mardi 16 décembre 2014

Tchad : La vigilance pour juguler une mémoire dangereuse (1)


Par Rodrigue Naortangar.


1.     Diagnostic
Au Tchad, le spectre de l’insécurité chronique est régulièrement brandi par les thuriféraires du palais rose pour faire taire les « velléités » révolutionnaires auxquelles les Tchadiens semblent avoir repris goût depuis quelques mois, suite à la révolution burkinabè. Le Tchad, disent les laudateurs du régime dominé par le MPS (Mouvement Patriotique du Salut), est sorti du cycle des guerres et des violences à répétition qu’il a connu depuis son accession à l’indépendance, il y a 54 ans. La liberté, mais aussi la démocratie chèrement acquises depuis l’accession d’Idriss Déby Itno à la magistrature suprême, il y a 24 ans, constituent les fondements de la paix dont jouissent les Tchadiens depuis la dernière attaque de rebelles en février 2008. 

La « communauté internationale » semble mordre à cette rhétorique: Pour l’heure, entend-on dire, le Tchad est un îlot de paix entouré d’une marée de conflits : Boko Haram, la secte islamique, sévit à l’ouest ; le conflit du Darfour couve toujours à l’est; au sud, la République Centrafricaine peine à se redresser de sa situation politique, socio-économique et sécuritaire calamiteuse ; au nord, les Libyens de l’ère post-Kadhafi s’entredéchirent ; sans compter que les frontières poreuses du Sahel et du désert tchadien laissent passer en catimini des hordes d’islamistes d’est en ouest et d’ouest en est, du Nord à l’ouest. Le Tchad n’est pas qu’un îlot de paix, il contribue aussi, semble-t-il, à la paix dans la sous-région. Mis à part les faits d’armes des vaillants soldats tchadiens au nord du Mali, d’aucuns qualifient d’essentiel la présence militaire et l’influence politique tchadiennes en République Centrafricaine. Le dispositif de l’opération « Barkhane » basé à N’Djaména, dans la capitale tchadienne, et qui est piloté par la France en coopération, semble-t-il, avec le Tchad et les certains autres pays du Sahel, aurait vocation à assurer la sécurité dans la sous-région.

Pendant que l’image du Tchad brille au-dehors, à l’intérieur pourtant la grogne monte… à raison. Aussi bien la poignée des privilégiés du régime que la masse des oubliés constatent un malaise général. Au-delà de la rhétorique de la « renaissance » et de « l’émergence » du Tchad, au-delà de la fièvre des investissements dans les infrastructures d’usage publique rendus possibles grâce aux colossaux revenus des innombrables puits pétrolières tchadiens, au-delà de la politique tous azimuts pour attirer des investisseurs étrangers, les indicateurs de développement humain et de bonne gouvernance classent le Tchad parmi les derniers du monde. La flambée des prix de première nécessité n’est plus contrôlée et la cherté de la vie agrandi le fossé entre les riches et les pauvres. Pendant les périodes de « soudure » la faim menace toujours un grand nombre de Tchadiens. Les injustices, nombreuses, profitent souvent aux proches du régime et la corruption est banalisée. 

Certains privilégiés du régime défendent bec et ongles le système établi, parfois même sans vraiment y croire. D’autres préfèrent s’emmurer dans le silence. Dans le meilleur des cas, ils osent des critiques, mais dans le silence et le confort de leurs salons feutrés, par peur d’éventuelles représailles. Cette peur est également ce qui a tétanisé la masse des oubliés jusqu’à il y a peu: La brutalité des militaires et autres agents armés lors d’incursions nocturnes contre d’éventuels opposants et critiques du régime, les accusations de déstabilisation ou de coup d’état accompagnés de jugements expéditifs n’ayant de crédibilité que la non-crédibilité de la majorité des juges, ces soi-disant détenteurs du pouvoir judiciaire mais qui sont en réalité corrompus et manipulés par les tenants du pouvoir exécutif, les enlèvements, les arrestations et séquestrations sans motif clair, les assassinats à bout portant, etc., provoquaient le désarroi et renforçaient le fatalisme. La masse des oubliés se sentait littéralement sans défense. L’inefficience des parlementaires et des représentants du peuple à défendre les intérêts de la masse des oubliés est flagrante. À l’exception d’une poignée d’hommes et d’hommes courageux, la grande majorité d’entre eux, souvent mal élue, fait profil bas par stratégie de survie ou de protection d’intérêts personnels, familiaux voire claniques. Les opposants politiques sont tout autant inefficients. Bon nombre d’entre eux ont perdu la confiance de la masse des oubliés : ils ont trahi ou ont fait nombre avec l’establishment à un moment donné. Si quelques-uns restent fidèles à eux-mêmes, ils brillent par l’inefficacité de leurs critiques. Les thuriféraires du palais rose aiment à les citer comme preuve de liberté d’expression, ils leur servent indirectement de vernis démocratique. La société civile elle-même a par le passé servi de tremplin pour plonger dans la mangeoire de la politique du régime. En sera-t-il autrement à l’avenir ? 

Malgré tout l’espoir du changement commence à gagner sur la peur, le désarroi et le fatalisme de la masse des oubliés. L’exemple burkinabè a galvanisé. Que les marches et les démonstrations contre la vie chère aient massivement mobilisé des enseignants et des élèves est symptomatique: Ces derniers sont les bâtisseurs et les acteurs de l’avenir, cet avenir qui semble être hypothéqué par un système injuste. Il va donc de soi qu’ils s’arrachent leur avenir, coûte que coûte. La lutte pour l’avenir du Tchad prend le dessus sur le monopole de la violence dite légitime et sur sa justification internationale. Le dilemme dans lequel le Tchad se situe ces mois-ci est donc profond. Analysons-le.